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Les preuves déloyales et illicites désormais recevables devant les juges prud’homaux sous certaines conditions

Une preuve illicite est une preuve issue d’un dispositif illicite, c’est-à-dire lorsqu’elle est obtenue en violation d’une règle de droit (dispositif de vidéosurveillance mis en place sans information individuelle des salariés ou sans consultation des représentants du personnel).

Une preuve déloyale est une preuve obtenue par un stratagème (se faire passer pour un client par exemple), ou à l’insu de la personne (enregistrement audio clandestin).

Depuis un arrêt de principe du 7 janvier 2011, la Cour de cassation jugeait de façon constante qu’en matière civile, lorsqu’une preuve était obtenue de manière déloyale, elle était automatiquement irrecevable (Cass. ass. plén. 7 janvier 2011, n° 09-14316).

Il en était de même pour les preuves illicites qui devaient être rejetées des débats (Cass. soc. 8 octobre 2014, n° 13-14991).

Avant 2020, les preuves déloyales ou illicites étaient donc irrecevables, la Cour de cassation jugeant invariablement que « l’illicéité ou la déloyauté d’un moyen de preuve doit entraîner son rejet des débats ».

À partir de 2020, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence sur les preuves illicites, en se fondant sur le droit de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et notamment sur la notion de « droit à un procès équitable ».

La chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats(Cass. soc. 25 novembre 2020, n° 17-19523). Il s’agissait, en l’espèce, d’une preuve qui ne respectait pas le droit à la protection des données personnelles.

En décembre 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré à son tour un revirement de jurisprudence en mettant fin à l’irrecevabilité de principe de la preuve déloyale.

Elle juge ainsi, tant pour les modes de preuve illicites que pour les modes de preuve déloyaux, que : « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats » (Cass. ass. plén. 22 décembre 2023, n° 20-20648).

Depuis ces arrêts, le droit à la preuve permet d’admettre la recevabilité d’éléments illicites ou déloyaux qui portent atteinte à d’autres droits, à condition que leur production en justice soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte portée à la vie personnelle du salarié soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La production doit être indispensable et pas seulement nécessaire. En d’autres termes, il faut que la preuve ne puisse pas être apportée par un autre moyen qui serait, lui, licite et loyal.

La Cour de cassation a donné récemment un exemple du caractère indispensable ou non du moyen de preuve illicite ou déloyal.

En l’espèce, pour apporter la preuve d’une situation de harcèlement moral, un enregistrement clandestin d’une réunion du CHSCT était produit aux débats. La Cour de cassation donne raison à la Cour d’appel d’avoir écarté ce mode de preuve déloyal, en retenant que d’autres éléments (rapport d’enquête du CHSCT en concertation avec le médecin du travail) laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral. Autrement dit, il n’était pas indispensable de produire un mode de preuve déloyal pour que le salarié victime puisse exercer son droit à la preuve (Cass. soc. 17 janvier 2024, n° 22-17474).

De même, l’atteinte à la vie privée du salarié doit être proportionnée au but légitime poursuivi.

A titre d’exemple, dans un récent arrêt rendu le 14 février 2024, la Cour de cassation a fait application de la nouvelle jurisprudence et a jugé qu’un système de vidéosurveillance illicite avait pu être utilisé pour identifier la salariée responsable d’une anomalie dans les stocks d’une pharmacie et fonder son licenciement pour faute grave.

Le système de vidéosurveillance était illicite car il n’avait pas été porté à la connaissance des salariés individuellement et n’avait pas fait l’objet d’une consultation des institutions représentatives du personnel.

La Cour de cassation a jugé que ce moyen de preuve illicite était recevable car 1/ la preuve du vol ne pouvait pas être apportée par un autre moyen, 2/ il répondait au but légitime de protection des biens de l’entreprise et 3/ l’atteinte aux droits de la salariée était proportionnée car le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps (uniquement sur les jours concernés par les écarts d’inventaire constatés) et réalisé par la seule dirigeante de l’entreprise (Cass. soc. 14 février 2024, n° 22-23073).

La recevabilité des modes de preuve illicites et déloyaux est donc désormais admise. Elle est cependant soumise à de strictes conditions cumulatives appréciées souverainement par les juges du fond.

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