La Cour de cassation vient de donner une nouvelle illustration d’un moyen de preuve illicite qui, sous certaines conditions, est recevable en justice (Cass. soc. 25 septembre 2024, n° 23-13992).
Rappelons qu’il est désormais bien établi que les fichiers détenus sur l’ordinateur mis à disposition du salarié par l’employeur sont présumés avoir un caractère professionnel. L’employeur peut donc y accéder et les consulter librement, même en dehors de la présence du salarié.
En revanche, lorsque les fichiers ont été expressément identifiés par le salarié comme étant « personnels » ou « privés », la présomption de caractère professionnel tombe. L’employeur ne peut les consulter qu’à la condition que le salarié soit présent ou après l’avoir appelé pour l’inviter à assister à la consultation des fichiers.
Par extension, le matériel connecté à l’ordinateur professionnel est en quelque sorte le prolongement de l’ordinateur et est présumé avoir un caractère professionnel.
C’est le cas des clefs USB. La jurisprudence considère que la clef USB, même si elle appartient au salarié, est présumée utilisée à des fins professionnelles dès lors qu’elle est connectée à un ordinateur professionnel. L’employeur peut donc librement consulter son contenu (Cass. soc. 12 février 2013, n° 11-28649).
A contrario, une clef USB qui n’est pas connectée à un ordinateur professionnel ne serait pas présumée avoir un caractère professionnel, même si la clef se trouve dans le bureau du salarié. Dès lors, l’employeur qui en consulte le contenu, sans avoir prévenu le salarié et hors sa présence, porte atteinte à la vie privée du salarié. Le moyen de preuve ainsi obtenu est illicite.
Mais l’employeur peut-il néanmoins s’en servir, par exemple à l’appui d’une sanction disciplinaire ? La réponse est oui, sous certaines conditions.
Dans une affaire, une salariée avait été licenciée pour faute grave pour avoir copié en masse, sur 5 clefs USB, un nombre considérable de fichiers appartenant à l’entreprise (50.000). Même s’il n’était pas clairement établi que les clefs étaient personnelles, dès lors qu’elles n’étaient pas connectées à son ordinateur professionnel lorsque l’employeur les a découvertes, elles n’étaient pas présumées utilisées à des fins professionnelles.
L’employeur avait néanmoins accédé au contenu des clefs USB de la salariée en faisant appel à un commissaire de justice (anciennement huissier de justice). Cet accès était intervenu hors la présence de la salariée, sans l’avoir invitée et, bien sûr, sans son consentement.
Ce moyen de preuve était donc illicite en ce qu’il constituait une atteinte à la vie privée de la salariée, comme l’a relevé la Cour de cassation.
Malgré cela, les juges ont admis que l’employeur pouvait utiliser le contenu des clefs USB comme preuve.
En effet, depuis l’arrêt d’Assemblée plénière du 22 décembre 2023, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le droit à la preuve (de l’employeur, dans notre exemple) peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits (le droit au respect de la vie privée du salarié, dans notre exemple) à la double condition que (1) cette production soit indispensable à l’exercice du droit de la preuve et (2) que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Il s’agit donc de trouver un équilibre entre le respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve de l’employeur.
Dans cette affaire, l’employeur avait des raisons concrètes de consulter les fichiers présents sur les clefs USB. Non seulement, il avait évidemment intérêt à préserver le secret des affaires mais aussi, la salariée avait eu un comportement très suspect : elle avait été vue en train de travailler sur le poste informatique d’une collègue absente – et même de la dirigeante – et d’imprimer et de stocker de nombreux documents, auxquels elle n’était pas censée avoir accès du fait de ses fonctions.
De plus, l’accès aux fichiers était intervenu de façon mesurée et proportionnée. L’employeur avait fait appel à un commissaire de justice et s’était limité aux données professionnelles contenues sur les clefs USB. Les fichiers personnels de la salariée n’avaient été ni ouverts, ni produits en justice.
La double condition exigée par la jurisprudence – caractères indispensable et proportionné – était donc remplie. L’employeur pouvait donc utiliser comme preuve les fichiers obtenus pour prouver la faute grave commise par la salariée.
Pour davantage de développements sur l’évolution de la jurisprudence en matière de preuves déloyales ou illicites devant les juges prud’homaux, nous vous invitons à lire notre actualité du 1er mars 2024.